Baux d’habitation : un an de jurisprudence

Sélection de décisions rendues en 2024 par la Cour de cassation en matière de baux d’habitation.

Désordres dans le logement et exception d’inexécution

Civ. 3ème, 28 nov. 2024, n° 23-18135

La Cour de cassation rappelle encore une fois les conséquences auxquelles s’exposent les locataires qui invoquent l’exception d’inexécution pour justifier le non-paiement de loyers.

Les obligations du bailleur sont notamment définies à l’article 6 de loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

Le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au locataire un logement décent, d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et d’en faire jouir paisiblement le locataire pendant la durée du bail (Civ. 3ème, 31 oct. 2012, n° 11-12970 ; Civ. 3ème, 14 fév. 2012, n° 11-13135 ; Civ. 3ème, 4 mai 2010, n° 09-13281 ; Civ. 3ème, 14 oct. 2009, n° 08-10955 et 08-17750 ; Civ. 3ème, 15 déc. 2004, n° 02-20614 ; Civ. 3ème, 26 mars 1997, n° 95-14103).

Le bailleur doit y faire, pendant toute la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives (Civ. 3ème, 8 nov. 2011, n° 10-31011).

L’obligation pour le bailleur de délivrer un logement décent est d’ordre public.

La clause par laquelle le locataire prend les lieux dans l’état où ils se trouvent ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrance (Civ. 3ème, 5 juin 2002, n° 00-19037).

Même si les stipulations du contrat prévoient que le logement sera loué sans appareil de chauffage en contrepartie d’un loyer réduit, le bailleur peut ainsi être condamné à mettre en place une installation de chauffage (Civ. 3ème, 4 juin 2014, n° 13-17289).

L’article 1219 du code civil prévoit qu’une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

De très nombreux locataires, confrontés à des bailleurs qui refusent d’intervenir pour remédier aux désordres constatés dans le logement (humidité, vétusté de la peinture, dysfonctionnement électrique, problème de chauffage, etc.), invoquent ainsi l’exception d’inexécution pour arrêter de payer les loyers.

Pourtant, sauf lorsque le logement donné à bail est inhabitable, le manquement du bailleur à ses obligations légales ne permet pas au locataire d’interrompre le paiement du loyer. C’est ce que vient de rappeler encore une fois la Cour de cassation.

Même si le logement, d’une part, ne répondait pas aux normes de décence à raison de problèmes d’étanchéité et d’isolation générant de l’humidité et des moisissures dans les pièces du premier étage et, d’autre part, présentait une non-conformité de l’installation électrique dans une chambre, il n’en demeure pas moins qu’il n’était pas inhabitable. Par voie de conséquence, les locataires ne pouvaient pas invoquer l’exception d’inexécution pour justifier le non-paiement de loyers.

Confronté à une dette locative, le bailleur a pu légalement faire jouer la clause résolutoire insérée dans le contrat de location et ainsi obtenir la résiliation du contrat de location.

Obligation de délivrance d’un logement décent

Civ. 3ème, 14 nov. 2024, n° 23-12650

La connaissance de l’état des lieux par le locataire n’exonère pas le bailleur de son obligation de délivrer au preneur, tout au long de l’exécution du contrat de location, un logement en bon état de réparations et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent.

C’est donc à tort que la cour d’appel, retenant que l’état du logement était connu du preneur dès sa prise à bail, a rejeté la demande du locataire en paiement de travaux de rénovation du local à usage d’habitation et en paiement de dommages-intérêts pour préjudice de jouissance.

Offre de relogement en cas de congé du propriétaire

Civ. 3ème, 24 oct. 2024, n° 23-18067

En application du III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé à l’égard de tout locataire âgé de plus de 65 ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement, sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert.

Le dernier alinéa du III précise que l’âge du locataire est apprécié à la date d’échéance du contrat et le montant de ses ressources à la date de notification du congé.

La Cour de cassation précise que, pour déterminer si le bailleur qui délivre congé est tenu de proposer au locataire âgé de plus de 65 ans un relogement correspondant à ses besoins et ses possibilités, la période à prendre en considération pour le calcul des ressources est celle des 12 mois précédant la délivrance du congé.

Transfert du contrat en cas de décès du locataire

Civ. 3ème, 10 oct. 2024, n° 23-18933

Lors du décès du locataire, l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que le contrat de location est transféré :

  • au conjoint survivant qui ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 1751 du code civil ;
  • aux descendants qui vivaient avec lui depuis au moins un an à la date du décès ;
  • au partenaire lié au locataire par un pacte civil de solidarité ;
  • aux ascendants, au concubin notoire ou aux personnes à charge, qui vivaient avec lui depuis au moins un an à la date du décès.

En cas de demandes multiples, le juge se prononce en fonction des intérêts en présence.

A défaut de personnes remplissant les conditions, le contrat de location est résilié de plein droit par le décès du locataire.

La Cour de cassation précise que le juge ne doit pas vérifier si les conditions du transfert du bail sont réunies au jour où il statue, mais au jour du décès du locataire.

Obligation de payer le loyer et remise des clés

Civ. 3ème, 12 sept. 2024, n° 23-18132

Jusqu’à quand le locataire est-il obligé de payer le loyer et les charges récupérables lorsqu’il a délivré un congé au bailleur ?

Des locataires ont délivré un congé en novembre 2014 et quitté le logement, mais n’auraient remis les clés, d’après le bailleur, qu’en décembre 2015. Le propriétaire les a assignés en justice afin d’obtenir leur condamnation au paiement des loyers et des charges jusqu’à la remise des clés.

La Cour d’appel de Montpellier les a condamnés au paiement des loyers et charges jusqu’au 6 décembre 2015, au motif que la date de restitution des lieux est celle de la remise effective des clés en mains propres au bailleur, dont la charge de la preuve incombe aux locataires. Elle a considéré que tant que la restitution des lieux n’a pas eu lieu et même si les locataires ont quitté les lieux ou donné congé au bailleur, ces derniers restent tenus de toutes les obligations du bail, dont le paiement des loyers.

La Cour de cassation a censuré ce raisonnement.

Elle rappelle que le congé régulièrement délivré est un acte unilatéral qui met fin au bail et à l’obligation de payer le loyer par la seule manifestation de volonté de celui qui l’a délivré, à l’expiration du délai de préavis applicable.

En s’abstenant de rechercher, comme il le lui était demandé, si les locataires avaient régulièrement donné congé en novembre 2014, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Attention à l’interprétation de cette décision. Elle ne s’oppose évidemment pas à ce que le locataire qui a délivré un congé et s’est maintenu dans les lieux loués après l’expiration du délai de préavis puisse être condamné au paiement d’une indemnité d’occupation. À l’expiration du délai de préavis, le locataire devient en effet un occupant sans droit ni titre du logement.

Obligation de délivrer un logement décent et force majeure

Civ. 3ème, 27 juin 2024, n° 23-15226

Dans une décision qui pourrait être regardée comme très sévère par les bailleurs, la Cour de cassation rappelle encore une fois que seul un événement de force majeure est de nature à les exonérer de leur obligation de délivrance d’un logement décent pendant la durée du contrat de bail.

Le manquement à cette obligation est caractérisé alors même que le locataire a dissuadé les bailleurs de poursuivre les travaux, qu’il ne leur a adressé aucune réclamation ou mise en demeure de remédier aux désordres et qu’il est pour partie responsable, par ses agissements et ceux des occupants de son chef, de l’humidité importante constatée dans le logement.

Pour la Cour de cassation, il s’agit en effet de motifs inopérants qui ne permettent pas de caractériser un cas de force majeure.

Restitution de la chose louée en fin de bail

Civ. 3ème, 27 juin 2024, n° 22-21272

Le locataire qui restitue les locaux dans un état non conforme à ses obligations découlant de la loi ou du contrat commet un manquement contractuel et doit réparer le préjudice éventuellement subi par le bailleur.

Ce préjudice peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation ne soit subordonnée à l’exécution des réparations ou à l’engagement effectif de dépenses.

Le juge est tenu d’évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue.

Il doit notamment prendre en compte les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition.

La Cour d’appel de Paris a condamné un locataire à payer au bailleur des dommages-intérêts équivalents au coût de la remise en état des locaux au seul motif de l’inexécution des réparations.

La Cour de cassation censure cet arrêt en l’absence de préjudice pour le bailleur, les locaux ayant été revendus pour être détruits sans qu’il ait effectué de travaux de remise en état ni n’ait subi de dévalorisation du prix de vente.

Restitution du dépôt de garantie

Civ. 3ème, 13 juin 2024, n° 23-14760

Un dépôt de garantie, qui ne peut être supérieur à un mois de loyer en principal, peut être prévu par le contrat de location pour garantir l’exécution de ses obligations locatives par le locataire.

Le 3ème alinéa de l’article 22 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 prévoit que le dépôt de garantie est restitué déduction faite, le cas échéant, des sommes restant dues au bailleur et des sommes dont celui-ci pourrait être tenu, aux lieu et place du locataire, sous réserve qu’elles soient dûment justifiées.

À défaut de restitution dans les délais prévus à l’article 22, le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d’une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard.

La Cour d’appel de Montpellier a rejeté la demande d’une locataire en paiement de pénalités pour restitution tardive du dépôt de garantie, au motif que les bailleurs étaient fondés à subordonner cette restitution à la justification du paiement intégral des charges, peu important que la facture de gaz dont elle était débitrice corresponde à un contrat de fourniture d’énergie souscrit par elle à titre personnel.

Cet arrêt est cassé pour défaut de base légale.

La locataire faisait en effet valoir que les bailleurs ne pouvaient pas être tenus, en ses lieu et place, au paiement des sommes dont elle était seule redevable envers le fournisseur d’énergie, au titre d’un contrat qu’elle avait elle-même souscrit et qui prévoyait la facturation individuelle, directement auprès de son occupant, des consommations de gaz naturel pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire du logement donné à bail.

Troubles de jouissance subis par un locataire

Civ. 3ème, 13 juin 2024, n° 22-21250

L’AP-HP a donné en sous-location un logement à l’un des membres de son personnel. Se plaignant de nuisances sonores en provenance du local chaufferie situé en-dessous du logement, ce dernier a assigné l’AP-HP en condamnation à réaliser des travaux de nature à faire cesser son trouble de jouissance. Le constructeur de l’immeuble, appelé en intervention forcée par l’AP-HP, a été condamné sous astreinte à réaliser les travaux de transfert de la chaufferie nécessaires à la suppression des nuisances acoustiques.

Le constructeur a formé un pourvoi en cassation comportant un seul moyen, tiré de ce que le débiteur d’une obligation ne peut se voir imposer les modalités d’exécution de celle-ci. Autrement dit, les juges du fond ne pouvaient lui enjoindre de réaliser des travaux de déplacement de la chaufferie dans le local électrique et elle devait rester libre de pouvoir déterminer les moyens permettant de remettre au locataire un logement décent et lui assurer la jouissance paisible de celui-ci.

La Cour de cassation écarte ce moyen.

Lorsqu’il constate l’existence de troubles de jouissance subis par un locataire, le juge apprécie souverainement les mesures propres à les faire cesser en faisant injonction à leur auteur de procéder à des travaux.

Dégradations locatives dans le logement

Civ. 3ème, 13 juin 2024, n° 22-22498

En application du c de l’article 7 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, le locataire est obligé de répondre des dégradations et pertes qui surviennent pendant la durée du contrat dans les locaux dont il a la jouissance exclusive, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu par cas de force majeure, par la faute du bailleur ou par le fait d’un tiers qu’il n’a pas introduit dans le logement.

Après l’expulsion du locataire, le propriétaire a sollicité une indemnité au titre des dégradations locatives dans le logement donné à bail.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a rejeté cette demande de paiement au motif que l’état des lieux de sortie a été établi de manière unilatérale par le bailleur et donc qu’il n’a donc aucune force probante. Pour la Cour, il appartenait au bailleur de solliciter un huissier de justice pour le réaliser, le procès-verbal d’expulsion ne pouvant en aucun cas s’y substituer.

La Cour de cassation censure cet arrêt.

Elle considère en effet que les constatations d’un procès-verbal d’expulsion dressé par commissaire de justice, soumis à la libre discussion des parties, peuvent faire la preuve de dégradations locatives.

Nouveau délai de 6 semaines pour apurer la dette locative

Civ. 3ème, 13 juin 2024, avis n° 24-70002

Depuis le 29 juillet 2023 et l’entrée en vigueur des dispositions de l’article 9 de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, tout contrat de bail d’habitation doit contenir une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie.

L’article 10 de la loi du 27 juillet 2023 a également modifié le délai prévu au I de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, en le faisant passer de 2 mois à 6 semaines.

Se pose dès lors la question de l’application de la loi nouvelle dans le temps.

Pour la Cour de cassation, l’article 10 ne s’applique pas immédiatement aux contrats en cours, lesquels demeurent régis par les stipulations des parties, telles qu’encadrées par la loi en vigueur au jour de la conclusion du bail, et ne peut avoir pour effet d’entraîner leur réfaction.

Il faut maintenant attendre de voir si la Cour de cassation, statuant au contentieux, suivra cet avis.

Document informatif remis par le commissaire de justice

Civ. 3ème, 8 fév. 2024, n° 22-24806

Pour la Cour de cassation, le document informatif institué par l’article 1, I, du décret n° 2017-923 du 9 mai 2017, remis par le commissaire de justice ou déposé au domicile ou à la résidence du destinataire d’une assignation aux fins de prononcé ou de constat de la résiliation d’un bail d’habitation, n’est pas un acte de procédure soumis aux dispositions des articles 56 et 114 du code de procédure civile.

Délai réduit en cas de congé du locataire

Civ. 3ème, 11 janv. 2024, n° 22-19891

L’article 12 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que le locataire peut résilier le contrat de location à tout moment, dans les conditions de forme et de délai prévues à l’article 15.

En application des dispositions du I de l’article 15, dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi Alur), le délai de préavis applicable au congé est de 3 mois.

Ce délai est toutefois réduit à 1 mois dans des cas limitativement énumérés au 1° à 5° du même article :

  • 1° Sur les territoires mentionnés au premier alinéa du I de l’article 17 ;
  • 2° En cas d’obtention d’un premier emploi, de mutation, de perte d’emploi ou de nouvel emploi consécutif à une perte d’emploi ;
  • 3° Pour le locataire dont l’état de santé, constaté par un certificat médical, justifie un changement de domicile ;
  • 3° bis Pour le locataire bénéficiaire d’une ordonnance de protection ou dont le conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité (PACS) ou concubin fait l’objet de poursuites, d’une procédure alternative aux poursuites ou d’une condamnation, même non définitive, en raison de violences exercées au sein du couple ou sur un enfant qui réside habituellement avec lui ;
  • 4° Pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ou de l’allocation adulte handicapé (AAH) ;
  • 5° Pour le locataire qui s’est vu attribuer un logement défini à l’article L. 831-1 du code de la construction et de l’habitation.

Le locataire souhaitant bénéficier des délais réduits de préavis doit préciser le motif invoqué et le justifier au moment de l’envoi de la lettre de congé. À défaut, le délai de préavis applicable à ce congé est de trois mois.

La Cour de cassation précise que lorsque le bien loué est situé en zone tendue, le fait pour le locataire de mentionner l’adresse de ce bien dans son congé et de revendiquer le bénéfice d’un préavis réduit au visa des dispositions de la loi Alur suffit à préciser et à justifier le motif invoqué de réduction du délai de préavis.

Rédigé par Me Cyril PERRIEZ

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