Plus de 10 années après l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2011, des dispositions du décret Magendie[1] et presque 5 années après celles issues du décret du 6 mai 2017[2], la procédure d’appel à bref délai n’a pas fini de dévoiler tous ses secrets. En ayant recours à ce qui s’apparente à un attendu de principe, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation vient de juger que « les conclusions d’appelant d’un jugement du juge de l’exécution, qui peuvent être déposées au greffe avant la fixation de l’affaire à bref délai, doivent être notifiées à l’intimé dans le délai maximal d’un mois suivant la réception, par l’appelant, de l’avis de fixation à bref délai ».
Contrairement à la solution retenue à tort par la Cour d’appel de Paris, même lorsque les conclusions d’appelant sont remises au greffe avant la réception, par l’appelant, de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai, le délai « maximal » d’un mois dont ce dernier dispose pour les notifier à l’avocat de l’intimé ne commence à courir qu’à compter de la réception de cet avis de fixation.
Si la cassation de l’arrêt était inévitable, l’importance et la portée réelle de cette nouvelle jurisprudence sont en revanche difficiles à appréhender.
Le 3 septembre 2019, Mme W a interjeté appel d’un jugement rendu par le juge de l’exécution et a remis, le même jour, au greffe ses conclusions d’appelante. L’avis de fixation de l’affaire à bref délai a été notifié le 7 octobre 2019. Mme W a redéposé le 9 octobre 2019 ses conclusions d’appelante au greffe et les a notifiées à l’intimé qui avait entre-temps constitué avocat. Le magistrat de la chambre a, par ordonnance, prononcé la caducité de la déclaration d’appel au 3 octobre 2019. Par un arrêt rendu le 28 mai 2020, la Cour d’appel de Paris a rejeté le déféré de Mme W, au motif que le délai d’un mois ouvert à l’appelante pour signifier ses conclusions à l’intimé n’ayant pas constitué avocat expirait le 3 octobre 2019, soit un mois après la remise au greffe de ses premières conclusions le 3 septembre 2019, peu important que l’avis de fixation ait été adressé postérieurement à cette dernière date. La Cour de cassation casse en toute ces dispositions cet arrêt dès lors que les conclusions d’appelant avaient bien été notifiées à l’avocat constitué pour l’intimé dans le délai d’un mois suivant la réception, par l’appelante, de l’avis de fixation prévu par l’article 905-2 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l’article R. 121-20 du code des procédures civiles d’exécution, même en l’absence d’avis de fixation, l’appel des décisions rendues par le juge de l’exécution est soumis de plein droit à la procédure de l’article 905 du code de procédure civile, dite « à bref délai » ou « circuit court »[3]. Cette procédure d’appel spécialement aménagée permet d’obtenir un arrêt en quelques mois seulement, alors qu’il faut compter environ deux années avec la procédure « classique ».
En application du 1er alinéa de l’article 905-2 du code de procédure civile, sous peine de caducité de la déclaration d’appel, l’appelant dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour remettre au greffe ses conclusions. Il s’agit d’un délai maximal, l’appelant n’ayant pas nécessairement à attendre la réception de l’avis de fixation pour remettre au greffe ses conclusions, auquel cas en revanche cette remise anticipée demeure sans incidence sur la date butoir avant laquelle elles doivent, sous la même sanction, être notifiées à l’intimé.
La remise au greffe des conclusions et leur notification aux autres parties constituent en effet deux charges dissociables qui incombent à l’appelant[4]. Les actes à accomplir par ce dernier vont dépendre selon que l’intimé a ou non constitué avocat et le moment où cette constitution intervient. Il arrive en effet très fréquemment que l’intimé constitue avocat après la remise au greffe des conclusions d’appelant et (i) avant, (ii) dans le mois ou (iii) plus d’un mois après la réception, par l’appelant, de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai.
Lorsque l’intimé constitue avocat avant la remise au greffe des conclusions d’appelant, la remise au greffe de ces conclusions par voie électronique vaut notification à l’intimé. Dans cette hypothèse, la remise au greffe des conclusions d’appelant et leur notification à l’avocat de l’intimé sont réalisées simultanément. Même si la notification des conclusions intervient alors que l’avis de fixation n’a pas encore été notifié, elle fait courir de plein droit le délai d’un mois imparti à l’intimé pour conclure[5].
Lorsque l’intimé constitue avocat après la remise au greffe des conclusions d’appelant et avant la réception, par l’appelant, de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation vient de juger que les conclusions d’appelant doivent être notifiées à l’intimé dans le délai maximal d’un mois suivant la réception, par l’appelant, de l’avis de fixation[6].
Cette décision ne remet pas en cause la possibilité pour l’appelant de notifier ses conclusions à l’avocat de l’intimé avant même la réception de l’avis de fixation, notification qui constituera pour l’intimé le point de départ du délai d’un mois pour conclure. En revanche, elle pourrait être interprétée comme privant désormais l’appelant de la possibilité de se prévaloir du délai supplémentaire d’un mois prévu par le 1er alinéa de l’article 911 du code de procédure civile.
Cette décision illustre la difficile combinaison entre les dispositions de l’article 905-2 du code de procédure civile et celles de l’article 911, dont la première phrase prévoit que les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour et la seconde qu’elles sont signifiées aux parties qui n’ont pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l’expiration des délais prévus pour leur remise au greffe.
Au visa de ces dispositions, la même chambre civile de la Cour de cassation a récemment jugé que lorsque l’appelant remet au greffe ses conclusions avant que l’intimé ne constitue avocat, il dispose d’un délai de deux mois suivant l’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour notifier ses conclusions à l’intimé ou à l’avocat que celui-ci a constitué entre-temps[7]. Certes à propos de la procédure d’appel classique, elle a également jugé que lorsque l’intimé constitue avocat après la remise au greffe des conclusions d’appelant, celles-ci doivent lui être notifiées dans le mois suivant l’expiration du délai de 3 mois prévu pour leur remise au greffe, peu important que la constitution soit intervenue avant l’expiration de ce délai de trois mois[8].
En imposant l’obligation de notifier les conclusions d’appelant à l’avocat de l’intimé dans le délai maximal d’un mois suivant la réception de l’avis de fixation, la décision du 13 janvier 2022 pourrait ainsi constituer un véritable tournant jurisprudentiel.
La portée effective de cette jurisprudence pourrait toutefois être à nuancer. Il est en effet possible de s’interroger sur la réelle volonté de la Cour de cassation d’enfermer désormais la notification des conclusions d’appelant dans un délai maximal d’un mois à compter de la réception, par l’appelant, de l’avis de fixation. Pour cette dernière, dès lors que les conclusions d’appelant ont été notifiées à l’avocat de l’intimé dans le délai d’un mois suivant la réception de l’avis de fixation, la cour a violé les dispositions des articles 905-2 et 911 du code de procédure civile en prononçant la caducité de la déclaration d’appel. La solution aurait-elle été différente si les conclusions d’appelant avaient été notifiées à l’avocat de l’intimé dans un délai de deux mois à compter de la réception de l’avis de fixation ? La Cour de cassation n’avait pas à répondre à cette question.
Elle constitue en revanche une potentielle source d’insécurité juridique et soulève une véritable incertitude : le délai « maximal » d’un mois devrait-il également trouver à s’appliquer lorsque l’intimé constitue avocat dans le mois suivant la réception, par l’appelant, de l’avis de fixation ? En pratique, plus la constitution de l’intimé interviendra tardivement et plus il sera matériellement difficile pour l’appelant, voire même parfois impossible, de notifier les conclusions avant l’expiration de ce délai maximal d’un mois.
Décision commentée : Civ. 2ème, 13 janv. 2022, n° 20-18121
[1] Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 modifié relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile.
[2] Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile.
[3] Dans le même sens, voir déjà Civ. 2ème, 1er juill. 2021, n° 20-14284.
[4] En application de l’article 2 du code de procédure civile, les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent et il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis.
[5] Civ. 2ème, 22 oct. 2020, n° 18-25769, à propos de l’appel d’une ordonnance de référé également soumis de plein droit à la procédure à bref délai.
[6] Civ. 2ème, 13 janv. 2022, n° 20-18121 ; voir déjà dans le même sens Civ. 2ème, 1er juill. 2021, n° 20-14284.
[7] Civ. 2ème, 1er juill. 2021, n° 20-14449.
[8] Civ. 2ème, 10 avr. 2014, n° 12-29333.