Contentieux des baux d’habitation : du Tribunal d’instance au Juge des contentieux de la protection

Depuis le 1er janvier 2020[1], les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance ont été supprimés pour laisser place à une nouvelle juridiction de premier degré : le Tribunal judiciaire. Au sein de cette nouvelle juridiction, un ou plusieurs juges exercent désormais les fonctions de Juge des contentieux de la protection. À l’instar du Président du tribunal, du Juge de la mise en état, du Juge aux affaires familiales ou encore du Juge de l’exécution, le Juge des contentieux de la protection constitue une « juridiction » à part entière du Tribunal judiciaire, exerçant des fonctions particulières au sein de ce tribunal. Il devient le juge naturel des litiges relatifs aux contrats d’habitation.

  1. La compétence du Juge des contentieux de la protection en matière de baux d’habitation

Les compétences du Juge des contentieux de la protection sont définies aux articles L. 213-4-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire. Dans le ressort du Tribunal judiciaire ou, le cas échéant, de la chambre de proximité dont il relève, il connaît notamment (i) des actions tendant à l’expulsion des personnes qui occupent aux fins d’habitation des immeubles bâtis sans droit ni titre, (ii) des actions dont un contrat de louage d’immeubles à usage d’habitation ou un contrat portant sur l’occupation d’un logement est l’objet, la cause ou l’occasion, ainsi que (iii) des actions relatives à l’application de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948. Le Juge des contentieux de la protection hérite ainsi des litiges relatifs aux contrats ou baux d’habitation, qui relevaient autrefois de la compétence exclusive des tribunaux d’instance[2].

Le Juge des contentieux de la protection ayant une compétence exclusive pour connaître des litiges relatifs aux « contrats d’habitation », les parties devront prendre soin à la rédaction des mentions obligatoires devant figurer dans leur assignation, notamment en ce qui concerne l’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée. Le Tribunal judiciaire ou son Président statuant en référé devraient normalement se déclarer incompétent lorsqu’ils seront saisis à tort d’une action dont un contrat de louage d’immeubles à usage d’habitation ou un contrat portant sur l’occupation d’un logement est l’objet, la cause ou l’occasion. Il s’agit en effet d’une compétence exclusive du Juge des contentieux de la protection. Pour les assignations délivrées à compter du 1er janvier 2020, la prudence commande ainsi de citer son adversaire à comparaître devant « leJuge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire » territorialement compétent, en l’occurrence celui du lieu où sont situés les biens[3].

Pour devancer les éventuelles difficultés suscitées par cette réforme, l’article 2 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile a créé un nouvel article au sein du code de procédure civile afin de régler plus rapidement et, en théorie, plus simplement les questions de compétence au sein d’un tribunal judiciaire. En application de l’article 82-1 du code de procédure civile, les questions de compétence au sein d’un Tribunal judiciaire peuvent être réglées avant la première audience par simple mention au dossier, à la demande d’une partie ou d’office par le juge. Le dossier de l’affaire est aussitôt transmis par le greffe au juge désigné. Le juge à qui l’affaire a été renvoyée ou une partie peuvent remettre en cause cette compétence dans un délai de trois mois, le point de départ de ce délai n’étant pas indiqué. Dans ce cas, le juge, d’office ou à la demande d’une partie, renvoie l’affaire par simple mention au dossier au Président du Tribunal judiciaire.

Cette décision de renvoi devrait être regardée comme une simple mesure d’administration judiciaire, insusceptible de recours. Si l’on s’en tient à une lecture littérale du texte, le juge ne semble pas disposer du pouvoir d’apprécier le bien-fondé de la remise en cause formée par une partie et devrait dans ce cas être tenu, a priori, de renvoyer le dossier de l’affaire au Président du Tribunal judiciaire. Ce dernier renvoie ensuite l’affaire au juge qu’il désigne, sa décision n’étant pas susceptible de recours. En revanche, la compétence du juge désigné par le Président pourra être contestée par les parties et la décision se prononçant sur cette question faire, elle, l’objet d’un appel.

  1. La représentation par avocat est-elle obligatoire ?

Le 1° de l’article 761 du code de procédure civile dispense les parties de constituer avocat dans les matières relevant de la compétence du Juge des contentieux de la protection. Devant ce juge, les parties se défendent elles-mêmes et peuvent également se faire assister ou représenter dans les conditions et par les personnes limitativement énumérées à l’article 762 du code de procédure civile. La représentation par avocat n’est donc pas obligatoire devant le Juge des contentieux de la protection.

Le Juge des contentieux de la protection disposant d’un large panel de pouvoirs pour mettre fin aux manquements des propriétaires (clause du contrat illégale, requalification d’un contrat, logement ne répondant pas aux caractéristiques du logement décent, réalisation de travaux sous astreinte, suspension en tout ou partie du loyer, délivrance d’un congé irrégulier, etc.) ou des locataires (condamnation au paiement de la dette locative, acquisition de la clause résolutoire ou résiliation judiciaire du contrat, validation d’un congé, expulsion du locataire, etc.) à leurs obligations contractuelles, avec des conséquences parfois traumatisantes pour les parties concernées (expulsion locative notamment), l’intervention d’un professionnel du droit est toutefois fortement recommandée.

  1. Le placement électronique de l’assignation est-il obligatoire ?

Les parties étant dispensées de constituer avocat conformément aux dispositions de l’article 761 du code de procédure civile, la procédure est orale devant le Juge des contentieux de la protection[4]. La procédure est donc soumise aux règles régissant la procédure orale ordinaire[5]. L’obligation de remettre à la juridiction les actes de procédure par voie électronique, sous peine d’irrecevabilité relevée d’office, s’appliquant exclusivement en matière de procédure écrite ordinaire, elle ne s’impose donc pas en matière de procédure orale ordinaire.

Une copie de l’assignation doit donc être envoyée au greffe du Juge des contentieux de la protection au plus tard 15 jours avant la date de l’audience (l’arrêté du Garde des sceaux mentionnés à l’article 751 du code de procédure civile n’a pas encore été publié), sous peine de caducité de l’assignation constatée d’office par ordonnance du juge ou, à défaut, à la requête de l’une des parties. Les dispositions relatives à l’introduction de l’instance par assignation figurant désormais dans un sous-titre Ier « Dispositions communes », applicable à la fois aux procédures écrites (sous-titre II) et orales (sous-titre III), ce délai de 15 jours pourrait donc s’appliquer aussi bien aux affaires au fond qu’à celles présentées en référé.

  1. La procédure devant le Juge des contentieux de la protection

Le Juge des contentieux de la protection peut être saisi au fond ou en référé, dans cette dernière hypothèse sur le fondement des dispositions des articles 834 (urgence) et 835 (dommage imminent ou trouble manifestement illicite) du code de procédure civile. Dans les deux cas la procédure est orale. Le juge est saisi par la remise d’une copie de l’assignation au greffe (autrement dit le placement). Il n’existe pas de Juge de la mise en état devant cette juridiction, la mise en état de l’affaire étant essentiellement rythmée au gré des renvois demandés par les parties et acceptés, ou non, par le tribunal. Comme avant devant le Tribunal d’instance, plusieurs audiences seront souvent nécessaires avant les plaidoiries finales et la mise à disposition ultérieure de la décision (jugement ou ordonnance).

Innovation toutefois importante depuis le 1er janvier 2020, la procédure aux fins de jugement peut se dérouler sans audience lorsque les parties en sont à l’initiative et qu’elles en sont expressément d’accord. Avant même la saisine de la juridiction et donc le début du procès, l’assignation peut mentionner l’accord du demandeur pour que la procédure se déroule sans audience[6]. Les parties peuvent également, à tout moment de la procédure, donner expressément leur accord pour que la procédure se déroule sans audience[7]. Dans ce cas, elles doivent formuler leurs prétentions et leurs moyens par écrit. Le cas échéant, le juge organise les échanges entre les parties. La communication entre elles est faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par notification entre avocats et il en est justifié auprès du tribunal dans les délais que le juge impartit. À l’issue, ce dernier informe les parties de la date à laquelle le jugement sera rendu[8]. Le Tribunal peut toujours décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l’une des parties en fait la demande.

Conçue dans l’objectif de désengorger le rôle des audiences, le recours à cette procédure écrite « conventionnelle » suscite toutefois plusieurs interrogations. La procédure étant par principe orale, l’accord de la partie assignée pour que la procédure se déroule sans audience peut-il être porté à la connaissance du juge simplement par écrit, sans même avoir à se déplacer à la première audience ? La représentation par avocat n’étant pas obligatoire devant le Juge des contentieux de la protection, quel est le formalisme à respecter pour en informer le juge et l’autre partie ? Lorsqu’elles en sont d’accord, les parties sont-elles dispensées de se présenter à la première audience ou doivent-elles d’abord recueillir l’accord préalable du juge et donc assister à la première audience ? Le juge étant tenu de respecter le principe du contradictoire, en toutes circonstances[9], à quel moment de la procédure pourra-t-il informer les parties de la date à laquelle le jugement sera rendu ?

Autre innovation, le Juge des contentieux de la protection statue en principe à juge unique. Il peut néanmoins décider de renvoyer l’affaire à la formation collégiale du Tribunal judiciaire, qui le cas échéant statue comme juge des contentieux de la protection. En cas de renvoi à la formation collégiale, celle-ci comprend le juge qui a ordonné le renvoi[10].

  1. Les voies de recours contre les décisions rendues par le Juge des contentieux de la protection

Le Juge des contentieux de la protection connaît à charge d’appel des actions tendant à l’expulsion des personnes qui occupent aux fins d’habitation des immeubles bâtis sans droit ni titre[11]. Pour les actions dont un contrat de louage d’immeubles à usage d’habitation ou un contrat portant sur l’occupation d’un logement est l’objet, la cause ou l’occasion, le Juge des contentieux de la protection statue en dernier ressort jusqu’à la valeur de 5 000 euros ; lorsque la demande excède cette somme ou est indéterminée, il statue à charge d’appel. Le délai d’appel à l’encontre des jugements rendus par le Juge des contentieux de la protection est d’un mois à compter de la signification à partie. Il est de quinze jours à compter de la signification pour les ordonnances de référé.

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[1] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

[2] Cf. art. R. 221-5 et R. 221-38 du code de l’organisation judiciaire, abrogés au 1er janvier 2020.

[3] Art. R. 213-9-7 du code de l’organisation judiciaire.

[4] Art. 817 du code de procédure civile.

[5] Cf. art. 817 à 833 du code de procédure civile.

[6] Art. 753 du code de procédure civile.

[7] Art. 828 du code de procédure civile.

[8] Art. 831 du code de procédure civile.

[9] Art. 16 du code de procédure civile

[10] Art. L. 213-4-8 du code de l’organisation judiciaire.

[11] Art. R. 213-9-3 du code de l’organisation judiciaire