Un mois jour pour jour seulement après sa nomination précipitée au Gouvernement[1], M. Olivier VÉRAN a cosigné, avec le Premier ministre et le Ministre de l’intérieur, le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19. Afin de prévenir la propagation de ce virus, le déplacement de toute personne hors de son domicile est interdit depuis le 17 mars midi jusqu’au 31 mars 2020, à l’exception de ceux réalisés pour les motifs limitativement énumérés à l’article 1er de ce décret. Autorité administrative compétente pour exercer la police spéciale des menaces sanitaires graves, l’activité du nouveau Ministre des solidarités et de la santé ne connaît pas la crise.
I. La police spéciale des menaces sanitaires graves
Le législateur a fait de la protection de la santé un droit fondamental devant être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne[2]. En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, l’article L. 3131-1 du code de la santé publique permet au Ministre chargé de la santé, par arrêté motivé, de prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population.
En application de l’article L. 3131-2 du code de la santé publique, le bien-fondé des mesures prises par le Ministre chargé de la santé doit faire l’objet d’un examen périodique par le Haut Conseil de la santé publique. Le même article précise qu’il est mis fin sans délai à ces mesures dès lors qu’elles ne sont plus nécessaires. Le Haut Conseil de la santé publique, qui comprend des membres de droit et des personnalités qualifiées[3], a notamment pour mission de fournir aux pouvoirs publics, en liaison avec les agences sanitaires et la Haute Autorité de santé, l’expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ainsi qu’à la conception et à l’évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire[4]. En l’absence de précision, le Ministre chargé de la santé publique ne semble pas en revanche tenu de suivre l’avis rendu au nom du Haut Conseil de la santé publique[5].
S’il appartient au Premier ministre, détenteur du pouvoir réglementaire en vertu des articles 21 et 37 de la Constitution, de prendre les mesures de police générale applicables à l’ensemble du territoire et justifiées par les nécessités de l’ordre public, il incombe au Ministre chargé de la santé de prendre toutes les mesures de police spéciale nécessaires pour prévenir et limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Afin de répondre le plus précisément possible à l’évolution de la menace sanitaire sur le territoire, le Ministre chargé de la santé peut également habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d’application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles. Ces dernières mesures doivent immédiatement faire l’objet d’une information du Procureur de la République.
II. Des mesures exceptionnelles pour une situation exceptionnelle
À l’instar de toutes les mesures de police administrative susceptibles de porter atteintes aux libertés individuelles (liberté d’expression, droit d’aller et venir, liberté de réunion, etc.), les mesures prises par le Ministre chargé de la santé doivent, sous le contrôle du juge administratif, être (i) nécessaires (l’autorité de police doit rechercher si une autre solution moins contraignante n’est pas envisageable), (ii) proportionnées et (iii) appropriées aux circonstances de temps et de lieu.
Alors que les mesures de police trop générales ou absolues sont en principe prohibées et censurées par le juge administratif, la gravité de la crise sanitaire a manifestement contraint le Gouvernement à prendre en urgence des mesures remarquables par leur généralité : limitées dans le temps, elles s’appliquent à l’ensemble du territoire de la République. À situation exceptionnelle mesures exceptionnelles, qui ont évolué et sont montées en généralité au fur et à mesure de la propagation de l’épidémie en France.
Chronologie des principales mesures prises au 17 mars 2020 :
- 25 janvier 2020 : Mobilisation de 50 réservistes pour une durée de 4 semaines renouvelable une fois, afin d’apporter un appui à Roissy Charles-de-Gaulle dans le but d’appuyer le dispositif d’accueil sanitaire à l’arrivée des avions en provenance de Chine[6].
- 30 janvier 2020 : Mobilisation de 80 réservistes sanitaires pour une durée de 2 semaines renouvelable une fois, se relayant par équipes, au sein du centre d’hébergement destiné à maintenir à l’isolement les personnes ayant résidé dans la province de Wuhan (Chine) dans le cadre de l’opération de rapatriement organisée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères[7].
- 30 janvier 2020 : Ouverture dans le département des Bouches-du-Rhône d’un centre d’hébergement destiné à maintenir en quarantaine les personnes ayant résidé à Wuhan (Chine) et arrivant sur le territoire français[8].
- 20 février 2020 : Ouverture dans le Département du Calvados de centres d’hébergement destinés à maintenir en quarantaine les personnes ayant résidé à Wuhan (Chine) et arrivant sur le territoire français[9].
- 20 février 2020 : Mobilisation de 30 réservistes sanitaires pour une durée de 2 semaines renouvelable une fois, se relayant par équipes, au sein des centres d’hébergement destinés à maintenir à l’isolement les personnes ayant résidé à Wuhan (Chine) dans le cadre d’une opération de rapatriement organisée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères[10].
- 24 février 2020 : Mobilisation de 50 réservistes sanitaires pour une durée de 8 semaines renouvelable une fois, afin d’apporter un appui à Roissy Charles-de-Gaulle dans le but d’appuyer le dispositif d’accueil sanitaire à l’arrivée des avions en provenance d’une zone d’exposition à risque au virus COVID-19[11].
- 27 février 2020 : Mobilisation de 30 réservistes sanitaires pour une durée de 1 semaine pour, d’une part, constituer une équipe d’intervention rapide pour apporter un appui à l’agence régionale de santé des Hauts-de-France dans ses missions de suivi et d’investigation autour des cas de personnes atteintes par le virus covid-19 et, d’autre part, renforcer les centres hospitaliers locaux[12].
- 1er mars 2020 : Mobilisation de 160 réservistes à compter du 1er mars 2020 pour une durée de 2 semaines renouvelable une fois pour, d’une part, constituer une équipe d’intervention rapide pour apporter un appui à l’agence régionale de santé des Hauts-de-France dans ses missions de suivi et d’investigation autour des cas de personnes atteintes par le SARS-CoV2 et, d’autre part, renforcer les centres hospitaliers locaux[13].
- 3 mars 2020 : Réquisition des stocks de masques de protection respiratoire de type FFP2 détenus par toute personne morale de droit public ou de droit privé et des stocks de masques anti-projections détenus par les entreprises qui en assurent la fabrication[14].
- 4 mars 2020 : Mobilisation de la réserve sanitaire à compter du 5 mars 2020, d’une part, pour constituer des équipes d’intervention rapide pour apporter un appui aux agences régionales de santé qui en font la demande pour leurs missions de suivi et d’investigation autour des cas de personnes atteintes par le virus covid-19 et, d’autre part, pour renforcer les établissements de santé[15].
- 4 mars 2020 : Interdiction sur le territoire national jusqu’au 31 mai 2020 de tout rassemblement mettant en présence de manière simultanée plus de 5 000 personnes en milieu clos[16].
- 6 mars 2020 : Jusqu’au 31 mai 2020, les solutions hydro-alcooliques destinées à l’hygiène humaine peuvent être préparées, en cas de rupture de leur approvisionnement, par les pharmacies d’officine et les pharmacies à usage intérieur mentionnées aux articles L. 5125-1 et L.5126-1 du code de la santé publique[17].
- 9 mars 2020 : Interdiction sur le territoire national jusqu’au 15 avril 2020 de tout rassemblement mettant en présence de manière simultanée plus de 1 000 personnes[18].
- 11 mars 2020 : L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qualifie la situation de pandémie.
- 12 mars 2020 : Première allocution télévisée du Président de la République.
- 13 mars 2020 : Interdiction sur le territoire métropolitain jusqu’au 15 avril 2020 de tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert. Interdiction aux navires de croisière et aux navires à passagers transportant plus de cent passagers de faire escale en Corse, et de faire escale ou de mouiller dans les eaux intérieures et les eaux territoriales des départements et régions d’outre-mer, ainsi que de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, et Wallis-et-Futuna, sauf dérogation accordée par le représentant de l’Etat compétent pour ces mêmes collectivités[19].
- 13 mars 2020 : Réquisition de masques supplémentaires[20].
- 14 mars 2020 : Interdiction pour certains établissements d’accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020. Fermeture des établissements scolaires, un accueil étant néanmoins maintenu pour les enfants de moins de seize ans des personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire. Les pharmacies d’officines sont autorisées à distribuer gratuitement des boîtes de masques de protection issues du stock national à certains professionnels de santé[21].
- 15 mars 2020 : les mesures d’hygiène et de distanciation sociale, dites « barrières », doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance[22].
- 16 mars 2020 : Deuxième allocution télévisée du Président de la République.
- 16 mars 2020 : Interdiction généralisée des déplacements hors du domicile, sauf pour des motifs limitativement énumérés[23].
- 17 mars 2020 : La vente de paracétamol est limitée. Les moyens des armées peuvent être utilisés pour transporter tout patient[24].
- 17 mars 2020 : La violation des mesures destinées à prévenir et limiter les conséquences des menaces sanitaires graves sur la santé de la population est désormais punie par une contravention de 4ème classe[25].
Qu’elles soient générales ou spéciales, les mesures de police administrative prises par le Premier ministre ou le Ministre chargé de la santé sont évidemment appelées à évoluer, plus ou moins rapidement. Elles sont susceptibles d’être reconduites pour une ou plusieurs nouvelles périodes et même aggravées si les circonstances l’exigent. En revanche, n’ayant pas d’autre finalité que la protection ou le rétablissement de l’ordre public et de la santé publique, elles devront être adaptées dès que possible puis supprimées dès qu’elles ne seront plus nécessaires.
III. Quelle est la sanction encourue en cas de non-respect de la mesure de confinement ?
Y compris en matière administrative, le règle est simple : pas de « peine » ou de sanction sans texte. Le code de la santé publique ne prévoit aucune sanction, pénale ou administrative, en cas de méconnaissance des mesures de confinement prise par le Premier ministre ou le Ministre chargé de la santé. La seule sanction prévue en matière de menace sanitaire grave concerne les personnes faisant l’objet d’une mesure de réquisition en application des articles L. 3131-8 et L. 3131-9 du code de la santé publique. Lorsque l’afflux de patients ou de victimes ou la situation sanitaire le justifie, sur proposition du Directeur général de l’agence régionale de santé, le représentant de l’Etat dans le département peut procéder aux réquisitions nécessaires de tous biens et services, et notamment requérir le service de tout professionnel de santé, quel que soit son mode d’exercice, et de tout établissement de santé ou établissement médico-social[26]. Si la nature de la situation sanitaire ou l’ampleur de l’afflux de patients ou de victimes le justifient, cette compétence peut être exercée, dans les mêmes conditions, par arrêtés des préfets de zone de défense et par décret du Premier ministre[27]. Le fait de ne pas respecter les réquisitions prévues aux articles L. 3131-8 et L. 3131-9 du code de la santé publique est puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende.
Même si le gouvernement est toujours resté évasif sur cette question, préférant faire appel à la responsabilité des français et au devoir de solidarité de la Nation dans ce contexte de crise sanitaire majeure, la sanction de l’inobservation de la mesure de confinement semblait uniquement reposer sur l’article R. 610-5 du code pénal. Cet article s’applique uniquement lorsqu’aucun texte spécial ne prévoit déjà une sanction[28]. Il prévoit que la violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 1ère classe. La sanction édictée par ce texte s’attache aux règlements de police pris par les autorités administratives en vue d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques[29]. Conformément à l’article 131-13 du code pénal, le montant de l’amende pour les contraventions de 1ère classe est de 38 euros au plus.
Alors que pour les professionnels de santé, principaux concernés par les mesures de réquisition, le refus de participer à l’effort de solidarité nationale est lourdement sanctionné, la sanction des personnes qui ne respectent pas l’obligation de confinement, en mettant ainsi directement en péril le travail de toutes les forces de la nation mobilisées pour lutter contre la propagation du virus (professionnels de la santé, forces de l’ordre, militaires, etc.), pouvait apparaître à bien des égards totalement dérisoire.
Depuis le 18 mars 2020[30], la violation des interdictions de se déplacer hors de son domicile, la méconnaissance de l’obligation de se munir du document justifiant d’un déplacement autorisé, ainsi que la violation des mesures restrictives prises en application de l’article 2 du décret du 16 mars 2020 sont punies de l’amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe, soit une amende de 750 euros au plus. L’article 2 du décret prévoit toutefois, en renvoyant à l’article 529 du code de procédure pénale, que l’action publique de cette nouvelle contravention est éteinte par le paiement d’une amende forfaitaire. Le montant de l’amende forfaitaire prévue par l’article 529 est de 135 euros pour les contraventions de la 4ème classe[31] et l’amende forfaitaire majorée de 375 euros[32]. Par comparaison, lorsque l’état d’urgence est déclaré, toute personne qui méconnait l’interdiction de circuler s’expose à une peine de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende[33].
Un mot d’ordre : Je me confine, je sauve des vies.
[1] Décret du 16 février 2020 relatif à la composition du Gouvernement.
[2] Art. L. 1110-1 du code de la santé publique, créé par l’article 2 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
[3] Art. L. 1411-5 et R. 1411-46 à R. 1411-51 du code de la santé publique.
[4] Art. L. 1411-4 du code de la santé publique.
[5] Art. R. 1411-56 du code de la santé publique.
[6] Arrêté du 25 janvier 2020 relatif à la mobilisation de la réserve sanitaire.
[7] Arrêté du 30 janvier 2020 relatif à la mobilisation de la réserve sanitaire, abrogé par l’arrêté du 4 mars 2020 (art. 2).
[8] Arrêté du 30 janvier 2020 relatif à la situation des personnes ayant séjourné dans une zone atteinte par l’épidémie de virus 2019-nCov, abrogé par l’arrêté du 4 mars 2020 (art. 2).
[9] Arrêté du 20 février 2020 relatif à la situation des personnes ayant séjourné dans une zone atteinte par l’épidémie de virus covid-19, abrogé par l’arrêté du 4 mars 2020 (art. 2).
[10] Arrêté du 20 février 2020 relatif à la mobilisation de la réserve sanitaire.
[11] Arrêté du 24 février 2020 relatif à la mobilisation de la réserve sanitaire.
[12] Arrêté du 27 février 2020 relatif à la mobilisation de la réserve sanitaire.
[13] Arrêté du 1er mars 2020 relatif à la mobilisation de la réserve sanitaire.
[14] Décret n° 2020-190 du 3 mars 2020 relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19, abrogé par le décret du 13 mars 2020 (art. 2).
[15] Arrêté du 4 mars 2020 relatif à la mobilisation de la réserve sanitaire.
[16] Arrêté du 4 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19.
[17] Arrêté du 6 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19.
[18] Arrêté du 9 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, abrogé par l’arrêté du 13 mars 2020 (art. 3).
[19] Arrêté du 13 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, abrogé par l’article 8 de l’arrêté du 14 mars.
[20] Décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19.
[21] Arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, complété par les arrêtés des 16 et 17 mars 2020.
[22] Arrêté du 15 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19.
[23] Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19.
[24] Arrêté du 17 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19.
[25] Décret n° 2020-264 du 17 mars 2020 portant création d’une contravention réprimant la violation des mesures destinées à prévenir et limiter les conséquences des menaces sanitaires graves sur la santé de la population.
[26] Art. L. 3131-8 du code de la santé publique.
[27] Art. L. 3131-9 du code de la santé publique.
[28] Crim., 1er juill. 1997, n° 96-83433 ; Crim., 6 sept. 2016, n° 14-85205.
[29] Crim., 25 avr. 2001, n° 00-86992.
[30] Décret n° 2020-264 du 17 mars 2020 portant création d’une contravention réprimant la violation des mesures destinées à prévenir et limiter les conséquences des menaces sanitaires graves sur la santé de la population.
[31] Art. R. 49 du code de procédure pénale.
[32] Art. R. 49-7 du code de procédure pénale.
[33] Art. 13 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.