Pris notamment pour l’application de l’article 42 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 et pour modifier la rétribution des avocats due au titre de l’aide juridictionnelle, les articles 8 et 9 du décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016 portant diverses dispositions relatives à l’aide juridique modifient également, en toute discrétion mais de manière importante, les règles relatives aux délais de recours contentieux. En outre, le décret procède à une harmonisation entre les juridictions administrative et judiciaire, la demande d’aide juridictionnelle ayant désormais pour effet d’interrompre les délais pour déposer la déclaration d’appel devant la cour d’appel.
L’article 50 du décret du 27 décembre 2016 prévoyant que les dispositions des articles 8 et 9 sont applicables aux demandes d’aide juridictionnelle faisant l’objet d’une décision intervenue à compter du 1er janvier 2017, les conséquences de la réforme (II.) méritent d’être précédées d’un bref rappel des dispositions encore applicables pour un temps (I.).
I. Les délais applicables aux demandes d’aide juridictionnelle faisant l’objet d’une décision intervenue avant le 1er janvier 2017
A. Le recours engagé devant une juridiction du premier degré
Lorsqu’une action en justice doit être intentée avant l’expiration d’un délai devant la juridiction du premier degré[1], l’action est réputée avoir été engagée dans le délai de recours contentieux à la double condition (i) que la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant ait été adressée au Bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et (ii) que la demande en justice ait été introduite dans un nouveau délai de même durée à compter :
- de la notification de la décision d’admission provisoire ;
- de la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;
- de la date à laquelle la décision d’admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ;
- ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.
Une demande d’aide juridictionnelle présentée à l’intérieur du délai de recours contentieux interrompt donc ce délai[2]. En cas d’admission, un nouveau délai de même durée court à compter de la date à laquelle la décision d’admission de la demande d’aide juridictionnelle est devenue définitive. Pour le Conseil d’État, la décision devient définitive le jour où il n’est plus possible d’exercer contre elle l’un des recours prévus à l’article 23 de la loi du 10 juillet 1991 dans les délais prévus à l’article 56 du décret du 19 décembre 1991 ou, si un tel recours est exercé, le jour où il est statué sur ce recours[3]. Le délai de recours contentieux est en effet interrompu tout aussi bien par la demande d’aide juridictionnelle que par un recours régulièrement exercé contre la décision du bureau d’aide juridictionnelle refusant l’octroi de l’aide[4].
En application de l’article 56 du décret du 19 décembre 1991, le demandeur dispose d’un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision du bureau d’aide juridictionnelle pour la contester. Le ministère public, le ministre de la Justice, le Bâtonnier et le Président de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation disposent pour leur part d’un délai de deux mois à compter du jour de la décision du bureau d’aide juridictionnelle. Autrement dit, en l’absence de recours, la décision d’admission devient définitive deux mois après le jour de la décision rendue par le bureau d’aide juridictionnelle, date à laquelle il n’est plus possible d’exercer aucun recours à son encontre.
Lorsque par exemple, ce qui est le plus fréquent, le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision administrative est de deux mois[5], la requête doit avoir être déposée dans les quatre mois qui suivent le jour de la décision d’admission rendue par le bureau d’aide juridictionnelle (action introduite dans un délai de même durée – soit 2 mois – à compter de la date à laquelle la décision d’admission de la demande d’aide juridictionnelle est devenue définitive, soit 2 mois à compter du jour de la décision du bureau d’aide juridictionnelle).
B. Les délais de recours en appel
Devant les juridictions administratives statuant à charge de recours devant le Conseil d’État, ce qui concerne évidemment au premier chef les cours administratives d’appel, le dépôt d’une demande d’aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contentieux pour interjeter appel[6] [6]. Un nouveau délai court à compter du jour de la réception par l’intéressé de la notification de la décision du bureau d’aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné. Ce dernier délai est interrompu lorsque l’intéressé, et exclusivement lui, forme un recours dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision. Le délai alors imparti court à compter de la date de la réception par l’intéressé de la notification de la décision prise sur recours confirmant la décision déférée ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.
En revanche, devant la juridiction judiciaire, la demande d’aide juridictionnelle n’interrompt pas le délai pour interjeter appel[7]. La plupart du temps, l’avocat qui a accepté de prêter son concours à l’aide juridictionnelle en première instance ou celui désigné d’office par le Bâtonnier devra donc avoir déposé la déclaration d’appel sans attendre la décision du Bureau d’aide juridictionnelle, en indiquant à la cour d’appel qu’une demande d’aide a été déposée.
Une fois la déclaration d’appel déposée, le délai imparti pour signifier la déclaration d’appel, mentionné à l’article 902 du Code de procédure civile, et les délais impartis pour conclure, mentionnés aux articles 908 à 910 du même code, ne courent qu’à compter :
- de la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;
- de la date à laquelle la décision d’admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ;
- ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné[8].
En cas d’admission, lorsque ni le demandeur ni le ministère public, le ministre de la Justice, le Bâtonnier ou le Président de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation n’ont exercé de recours, la décision devient définitive deux mois après le jour de la décision rendue par le bureau d’aide juridictionnelle. Cette date constituera le point de départ pour accomplir, dans les formes et délais prescrits par les articles 902 et suivants du Code de procédure civile, les différents actes de procédure devant la cour d’appel.
II. Les conséquences de la réforme sur les délais et leur interruption
L’article 38 du décret du 19 décembre 1991 concerne désormais aussi bien les actions en justice que les recours qui doivent être intentés, avant l’expiration d’un délai, devant les juridictions de première instance ou d’appel. Le décret marque ainsi une avancée importante puisque la demande d’aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contentieux y compris devant la cour d’appel. En pratique, l’avocat n’a donc plus à régulariser une déclaration d’appel avant sa désignation au titre de l’aide juridictionnelle. C’est uniquement lorsque le demandeur présente, suite au rejet de sa demande initiale d’aide juridictionnelle, une nouvelle demande ayant le même objet que le délai pour intenter une action en justice ou le délai d’appel n’est pas interrompu[9].
Pour tenir compte de la modification de l’article 38, l’article 9 du décret du 27 décembre 2016 a abrogé l’article 38-1 du décret du 19 décembre 1991, l’ensemble mettant ainsi fin à la dichotomie entre les deux ordres de juridiction. Du fait de cette suppression, l’avocat qui assiste le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle devant la cour d’appel ne dispose plus des délais dérogatoires pour signifier la déclaration d’appel ou conclure.
En outre, le décret opère une modification importante en ce qui concerne les délais de recours contentieux, la notion de décision définitive ayant été supprimée du c) de l’article 38 du décret du 19 décembre 1991. La jurisprudence susvisée n’est donc plus opérante et est nécessairement appelée à évoluer. Désormais, en cas d’admission ou de rejet de la demande d’aide juridictionnelle, le point de départ du délai pour agir (déposer par exemple la requête ou la déclaration d’appel) n’est plus la date à laquelle la décision est devenue définitive, mais la date à laquelle le demandeur à l’aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d’admission ou de rejet de sa demande ou, en cas de recours de celui-ci, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée. En cas d’admission, les délais pour introduire l’action en justice devant les juridictions de première instance se trouvent ainsi considérablement réduits, ceux-ci ne bénéficiant plus du délai de deux mois prévu par le deuxième alinéa de l’article 56 du décret du 19 décembre 1991.
Par exemple, alors que le justiciable bénéficiait avant d’un délai de quatre mois à compter du jour de la décision d’admission rendue par le bureau d’aide juridictionnelle pour saisir le juge administratif, il ne dispose plus que d’un délai de deux mois et quinze jours à compter de la notification de la décision d’admission rendue par le bureau d’aide juridictionnelle. Pour un jugement rendu par la juridiction judiciaire dont le délai d’appel est d’un mois, toujours en cas d’admission à l’aide, la déclaration d’appel devra être déposée devant la cour d’appel avant l’expiration d’un délai d’un mois et quinze jours à compter de la notification de la décision du bureau d’aide juridictionnelle. Il va sans dire que dans tous les cas, la demande d’aide juridictionnelle doit toujours être présentée à l’intérieur des délais pour intenter l’action en justice (saisine le tribunal) ou le recours (requête d’appel devant la cour administrative d’appel ou déclaration d’appel devant la cour d’appel).
En
outre, dès lors que le texte ne le prévoit plus, le recours éventuel du
ministère public, du ministre de la Justice, du Bâtonnier ou du Président de
l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation n’aura plus
aucun effet sur l’interruption des délais de recours contentieux. Ces derniers
disposant d’un délai de deux mois pour contester la décision du bureau d’aide
juridictionnelle, l’avocat qui a accepté de prêter son concours ou qui a été
désigné d’office par le Bâtonnier devra ainsi engager des démarches alors même
que la décision qui le désigne n’est pas encore définitive. Cette potentielle
source d’insécurité juridique devrait toutefois rester marginale tant les recours
de ces autorités sont rares.
Retrouver cet article sur le site du Village de la Justice : Cliquez ici
[1] Art. 38 du décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
[2] CE, 17 juin 2015, Président du conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, n° 383443.
[3] CE Avis, 28 juin 2013, n° 363460 ; CE Sect., 28 juin 2013, Préfet de police, n° 363460.
[4] CE, 22 mars 2006, Ministre de l’emploi et de la solidarité, n° 278974.
[5] Art. R. 421-1 du Code de justice administrative.
[6] Art. 39 du décret du 19 décembre 1991.
[7] Art. 38-1 du décret du 19 décembre 1991.
[8] Civ. 2ème, 18 fév. 2016, n° 14-14509.
[9] Dernier alinéa de l’article 38 du décret du 19 décembre 1991.